extrait : Rencontre gobeline

(extrait du roman Les Fortunes de Mathilde, paru en mars 2021)

Quittons un instant notre héroïne, pour redécouvrir certains
événements...

C'était la nuit. Trois silhouettes aux formes rebondies avançaient,
subreptices, pour examiner un campement. Il s'agissait de trois gobelines.
Par ordre croissant selon la taille de leur appendice nasal, il y avait celle
plantureuse et un peu plus haute que les autres ; puis celle patibulaire et
brutale ; et la dernière, à l'allure de truande – encore plus que la seconde. Et
ces trois-là, avaient repéré tantôt une humaine à la chevelure dorée.
La première à l'avoir remarquée, avait aussitôt prévenu les deux autres en
ces mots :
— Lok meine søstre dàs femåle bløndass queen ! Let rapt èl sito hørsless
so kråd.
Ce qui signifiait dans leur parler : « Regardez mes sœurs, cette blonde
femelle à la royale beauté ! Capturons-la dès qu'elle aura quitté cette
chevaline saleté. »
(NDT : Le terme sœur, désigne ici davantage une autre femelle
gobeline, une consœur, qu'une sœur de sang. – Veuillez noter qu'aucun
gobelin n'a été torturé pour traduire cette réplique librement.)

Pour une fois, elles ne se chamaillèrent point pour convenir de la façon
de procéder. Elles espionnèrent la voyageuse qui préparait maladroitement
son campement, et attendirent qu'elle s'endormît. Les peaux-vertes n'avaient
pas peur du feu. En revanche, toutes les créatures chevalines étaient craintes
et détestées par elles, et seuls les chasseurs gobelins les plus courageux les
traquaient. Mais ces trois gobelines là étaient des ramasseuses de racines et
de baies ; il leur fallut attendre encore que la jument s'assoupît.
Elles eurent enfin le champ libre.
Dans un premier temps elles se servirent de la cape dans laquelle la
dormeuse rêvait, pour la tirer à l'écart de la terrible monture. Leur victime
ainsi emballée était aussi, au besoin, facile à assommer. Mais sitôt à l'écart de
l'équidé, leur nature gobeline mit fin à leur belle organisation : la plus hardie
des trois arrêta de tirer pour ouvrit la cape et admirer dans la nuit, la beauté
blonde en vision monochromatique. – Les gobelinoïdes ont la faculté de
voir presque mieux dans le noir que de jour, mais uniquement selon une
gamme de verts, à l’exception, c'est important de le noter, des couleurs
dorées telles que celle de l'or et de certains cheveux blonds. C'était donc un
visage pâle et endormi, encadré d'une chevelure royale et dorée que les
coquines reluquaient.
Alors que les deux autres étaient hypnotisées comme des chercheuses
d'or, la plus vicieuse s'intéressa de près au décolleté de l'humaine. Décidée à
trouver la première un trésor pour le revendiquer, elle repéra une chaînette
de cou qui plongeait entre les seins, et de peloter aussitôt la jolie paire avec
une avidité toute gobeline, pour se saisir du précieux pendentif. La vilaine
sortit la médaille d'argent, dont le métal était d'autant plus doux qu'il avait
la chaleur de ce corps et surtout, qu'il brillait d'un blanc bleuté dans le creux
de sa main sale. Elle entra en transe à son tour...
Elles auraient pu rester toutes les trois ainsi, pendant des heures, mais la
jument encore trop proche sentit leur présence et s'agita. Aussitôt la haine
les sortit de leurs rêveries.
La brute gobeline vit la vilaine qui voulait truander l'objet d'argent, et
d'une gifle monumentale l'envoya bouler à dix pieds de là. Elle lui sauta
dessus avec la colère d'un chat sauvage et, oubliant un instant sa proie
blonde, elles partirent en pugilat.
La gobeline la plus sage tenta seule de traîner l'humaine pendant ce
temps, abandonnant derrière elle la cape et la besace de l'aventurière. Mais
même ainsi délestée, elle n'avait pas la force de la tirer loin, et dut vite
s'arrêter, épuisée. Les deux autres se battaient encore, alors, à la faveur de ce
moment seule avec la blonde endormie, elle lui remit de l'ordre dans ses
cheveux puis se pencha sur son visage et lui baisa la joue :
— Toi ma reine, toi ma Queen...
Elle replaça la médaille, fébrile, le cœur battant la chamade de la
contempler et de lui toucher les seins, elle s'autorisa un baiser plus long et
humide sur la bouche, empli de piété. La gobeline, bonne et sensible, en
pleurait, amoureuse.
— Gwen aime toi.
Un hennissement de la jument la fit sursauter et sa Queen sembla se
réveiller.
Gwen, heureuse de cet instant de félicité, se résolut à s'éloigner, pour
l'instant.

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Note de l'auteur