extrait : Début du roman

(extrait du roman Les Fortunes de Mathilde, paru en mars 2021)

Le printemps était à ses premiers jours. Le soleil du matin perçait sans
effort quelques nuages blancs, offrant une douce lumière aux collines
verdoyantes et leurs habitants. Le fond de l'air était encore un peu frais
certes, mais c'était déjà une belle journée. La vallée d'Indelventh était calme.
Pourtant, c'était jour de marché.
Sur les chemins menant à Tottendorff et ses hauts toits bleus et pointus
visibles de loin, les badauds en retard et les charrettes les plus lentes
arrivaient en ville par le faubourg de la porte sud. Déjà, une petite foule
prenait possession de la Grand-Place et visitait les étals dressés pour
l'occasion. Habits des beaux jours et breloques de pacotille, ustensiles,
produits frais tels que fruits, légumes et charcuteries, pains fourrés et autres
plats préparés, se disputaient l'attention des passants. Quelques vendeurs
d'animaux de ferme, un peu à l'écart, avaient fait eux aussi le déplacement.
De l'autre côté du marché les notables venaient se montrer – tous résidaient
à l'abri des murs de Tottendorff. Personne des villageois et des commerçants
ne semblait manquer à l'appel. Personne ? Pas tout à fait.
Mademoiselle Mathilde von Friedman – dite Merdeline d'après le
sobriquet qu'elle s'était choisie par provocation – était la fille unique d'un
notaire et trésorier de la commune, et avait, comme de coutume, grand mal
à se lever.

Sur ordre de la maîtresse de maison, Chloé la domestique arrivée l'an
passé avait ouvert la fenêtre de Mademoiselle, dès que neuf heures
sonnèrent. Cela pris donc une heure entière, pour que le brouhaha toujours
plus fort qui montait du marché, puis les cloches de dix heures, forcèrent la
dormeuse à émerger...
Dans sa chemise de nuit de lin froissée, un peu courte et délacée, la jeune
femme se leva pour s'avancer lentement jusqu'à la fenêtre en frottant ses
yeux éblouis. Merdeline s'accouda pour profiter de la vue sur la
Grand-Place, panorama magnifique depuis la hauteur de sa chambre sous
les combles : ses parents ne le savaient pas, mais elle aimait secrètement se
faire réveiller par tous ces bruits de foire ou de marché. Cependant elle
mettait toujours un peu plus de temps que les autres à émerger. Elle resta
donc là à contempler le cœur palpitant de cette petite ville qui s'offrait à elle,
sans se soucier d'être vue débraillée à sa fenêtre.
De son poste, elle pouvait contempler les toitures de simples maisons,
autant que les bâtiments les plus imposants de Tottendorff. Ces derniers
étaient presque tous dans le quartier des Casernes. S'y trouvaient justement
celui de la garde, mais aussi de plus nobles édifices tels que le Palais Ducal à
l'élégance sobre, qui abritait le conseil des Sages – sages assez mous et
grabataires en vérité – ayant remplacé le dernier duc depuis trois
générations. Mairie et diverses administrations y étaient aussi, dont la Cour
des comptes où Monsieur von Friedman – père de Mathilde – tenait ses
fonctions. Au milieu de ces grands édifices siégeait un ancien monastère à
l'architecture richement ouvragée, avec cloître et de nombreuses annexes.
Aujourd'hui dédié à l'éducation de ceux qui avaient les moyens de ne pas
devoir travailler pour manger, l'endroit servait de collège universitaire,
disposait de sa bibliothèque et même d'une presse d'imprimerie. Vous l'avez
deviné, ce fut en ces murs que Mademoiselle von Friedman avait suivi
quelques études ces dernières années.
Son regard revint à la Grand-Place, quartier qu'elle habitait depuis
toujours, pour parcourir la rue Grande et la rue du Palais assez larges pour
les livreurs avec wagon, et les nombreuses ruelles qu'empruntaient les
porteurs parmi les piétons. Elle en admira encore les façades en pierre et
colombages régulièrement rehaussées d'enseignes de guildes, de tavernes et
autres commerces ; son regard parcourut les toits et leurs gouttières avec des
gargouilles sculptées et, ici un chat, là deux pigeons...
À mesure que son esprit se laissait stimuler par ce spectacle anodin et le
marché, Merdeline jouait à deviner les conversations des passants et quels
seraient leurs prochains achats. Puis comme toujours, la faim finit par la
prendre une fois son lit quitté : si elle avait le réveil difficile, elle n'en avait
pas moins le réveil gourmand. Elle rejeta en arrière sa chevelure dorée en
s'approchant du coin de la chambre où se trouvait le meuble servant de
coiffeuse, et se versa de l'eau dans la vasque pour se rafraîchir. Sitôt fait en
conservant sa chemise fripée, elle enfila le pantalon de la veille. Taillé à la
mode des aventurières de roman, c'était un genre de fuseau trop moulant
pour les hommes des chemins, qu'elle avait déniché à l'occasion d'un jour de
marché comme celui-ci et qu'elle ne quittait plus depuis. Sa vieille mère –
Adèle de son prénom – avait bien tenté de le faire confisquer par la jeune
Chloé. Cependant Merdeline avait toujours réussi à le récupérer, même
alors qu'il était promis aux flammes dans l'âtre de la cheminée. Cela faisait
donc deux mois que ses parents, sa mère tout particulièrement, se désolaient
de savoir leur fille unique s'afficher en garçonne.
Mathilde durant toute son enfance avait été si sage, une poupée de
porcelaine délicate. Adolescente, ses humeurs ne donnèrent jamais lieu à de
vraies crises. Elle était jusque-là une jeune fille modèle bien éduquée... avant
de devenir Merdeline. C'était que ses parents en avaient presque oublié un
détail, avec lequel Merdeline vivait depuis la naissance, et qui faisait que
leur fille n'était pas une simple fille...

(La suite est à retrouver dans le roman Les Fortunes de Mathilde, paru en mars 2021 et que vous pouvez commander en écrivant à benoit29@mailo.com)

Posts les plus consultés de ce blog

Les Fortunes de Mathilde : un roman de fantasy

Note de l'auteur